EVENEMENTS
MUSIQUE
LE GRAND TROUPEAU, INSTRUMENTAUX
Entre 2023 et 2025, Christophe Alzetto s'est lancé dans une vaste entreprise de composition orchestrale librement inspirée d'extraits du roman Le grand troupeau de Jean Giono, publié chez Gallimard.
Les versions avec la lecture du texte de jean Giono par Christine Bretonnier-Andreani, qui a initié le projet et choisi les extraits du texte, ont été publiées par ACEL avec l'autorisation des éditions Gallimard, sous forme d'un double CD avec livret, qui est sorti en juin 2025. On peut le trouver sur de nombreuses plateformes de vente en ligne.
Les versions instrumentales sont, elles, la propriété exclusive de Christophe Alzetto, déposées en SACEM, elles sont proposées ici exclusivement à l'usage d'une écoute curieuse strictement privée. Pour toute autre utilisation, contactez l'auteur.
Les 51 pistes sont réparties selon les 3 grandes parties et les chapitres du roman de l'auteur.
INTRO - PARTIE 1 - PARTIE 2 - PARTIE 3 - TOUT ÉCOUTER
Note : Il s'agit là de versions non mastérisées (sans traitement audio de finalisation), il peut être normal de ressentir des écarts de volume ou de présence de basses un peu excessifs. Certains moyens de diffusion non hi-fi auront un peu de mal à reproduire ou à contenir certaines fréquences, ou parfois appliqueront un traitement automatique excessif (effets de trous sonores sur smartphone par exemple). Autant que possible, désactivez tous les traitements d'amélioration ou d'ambiance de votre système de diffusion. À moins d'un système hi-fi de qualité studio, neutre et incluant la capacité à rendre les basses profondes, seuls de bons écouteurs, à partir d'un lecteur dont toutes les options d'effets sont désactivées, pourront vous donner une idée du détail et du mixage de la musique.
TEXTES :
PULSATION, ÉMERGENCE
ET POURQUOI PAS LE SILENCE (Extrait du journal 2025)
INTRODUCTION , MATIÈRE SONORE (Extrait du journal 2023)
INTRODUCTION
01. Le bétail humain 00:00-03:32 (03:32)
PREMIÈRE PARTIE
ELLE MANGERA VOS BÉLIERS, VOS BREBIS ET VOS MOISSONS
02. Le départ 03:32-04:34 (01:02)
03. Les cloches 04:34-06:15 (01:41)
04. Je vais voir 06:15-07:08 (00:53)
05. Des moutons 07:08-09:12 (02:04)
06. La guerre 09:12-12:12 (03:00)
07. Le bélier 12:12-14:36 (02:24)
08. L'ânon 14:36-17:20 (02:44)
09. Mais que ça finisse 17:20-18:47 (01:27)
JULIA SE COUCHE
10. Fleurs d'oranger 18:47-20:46 (01:59)
11. Les seins pèsent 20:46-22:33 (01:57)
12. Tiédeur de la nuit 22:43-25:33 (02:50))
13. L'homme d'ombre 25:33-26:42 (01:09)
À LA CHARITÉ DU MONDE
14. Le lit d'herbe 26:42-29:29 (02:47)
15. Parle, je vais mourir 29:29-31:57 (02:28)
16. On est tous les deux 31:57-32:51 (00:54)
17. Le silence 32:51-34:52 (02:01)
18. L'ambulance 34:52-36:59 (02:07)
DEUXIÈME PARTIE
ET IL N'Y AURA POINT DE PITIÉ
19. Les rats 36:59-39:00 (02:01)
20. Les corbeaux 39:00-41:13 (02:13)
21. Les morts bougeaient 41:13-43:16 (02:03)
22. Les herbes dures 43:16-45:16 (02:00)
23. Le grand débord 45:16-46:46 (01:30)
24. La viande 46:46-49:39 (02:53)
25. Plus de visage 49:39-50:56 (01:17)
LE CINQUIÈME ANGE SONNE DE LA TROMPETTE
26. Matin 50:56-52:51 (01:48)
27. Les œufs 52:51-54:07 (01:16)
28. Le grand désir 54:07-56:53 (02:46)
29. Qu'est-ce que je vais devenir ? 56:53-58:33 (01:40)
30. Le lit a craqué 58:33-59:48 (01:15)
TROISIÈME PARTIE
VERDUN
31. La route 59:48-61:49 (02:01)
32. Le cavalier 61:49-63:05 (01:16)
33. Qui ? 63:05-64:32 (01:27)
PRÈS DU VIEUX CHEVAL
34. Où se cacher 64:32-66:45 (02:13)
35. On lui a coupé le bras 66:45-68:15 (01:30)
36. Choses douces et anciennes 68:15-70:04 (01:49)
37. Cette main 70:04-72:06 (02:02)
SANTERRE
38. Rien de neuf 72:06-73:56 (01:50)
39. La lettre 73:56-75:36 (01:40)
40. Oh ! l'homme 75:36-77:47 (02:11)
41. Le prisonnier 77:47-80:19 (02:32)
42. Messieurs, pas tuer ! 80:19-81:55 (01:36)
MON AMOUR !
43. Des nouvelles de ton homme 81:55-83:45 (01:50)
44. Gras comme moi 83:45-86:10 (02:25)
LE GRAND TROUPEAU
45. Le flot des soldats 86:10-88:38 (02:28)
46. Comme un ruisseau mort 88:38-90:39 (02:01)
47. À l'abattoir ! 90:39-92:38 (01:59)
DIEU BÉNISSE L'AGNEAU
48. Je te souhaite un fils 92:38-94:52 (02:14)
49. Mieux vaut renier les hommes 94:52-96:48 (01:56)
50. Une bête de plus sur la terre 96:48-99:12 (02:24)
51. L'espérance 99:12-101:35 (02:23)
ÉCOUTER TOUT (pistes 1 à 51)
LE GRAND TROUPEAU, pistes 01-51 / INSTRUMENTAL 00:00-101:35 (101:35)
Pulsation, émergence
LE GRAND TROUPEAU, pistes 01-51 / INSTRUMENTAL 00:00-101:35 (101:35)
Conçue à la manière d’une musique de film, l’oeuvre instrumentale crée par Christophe Alzetto pour Le Grand Troupeau a tenté de s’inspirer un peu de l’écriture même de Jean Giono : organique, pulsatoire, émergente, concrète mais hautement métaphorique, tissant entre les récurrences et les ressemblances un réseau de sens qui tout à la fois évoque la confusion ou l’aveuglement des esprits en proie à des forces qui les dépassent, et en dessine la mécanique tant il en ont pourtant le germe en eux.
C’est vraiment cette notion d’émergence (au sens d’une dialectique autant que d’une esthétique) qui a guidé le travail de composition dès le début : l’homme qui émerge de la nature mais s’en oublie dans sa folie destructrice, contrairement à l’animal, plus modeste et ancré au réel ; contrairement aussi à la femme, source et protectrice de vie, qui reste mieux connectée à son essentielle corporalité, le corps en vie, en émotion, en désir, en devenir. Mais la guerre émerge aussi du coeur des hommes et des structures sociales les plus banales et innocentes ; dans les rapports de domination traditionnels, dans le désir de l’homme de dompter la nature. Ce sont donc ces premières considérations qui ont orienté le travail musical : il fallait que la musique dise autre chose parfois que le texte, quand on supposait que le texte le faisait lui-même. Dire le mal qui couve.
Le parti pris a été de n’utiliser que des échantillons d’instruments d’orchestre, rien d’électronique, si ce n’est l’effet d’inversion du Dulcitone. L’oeuvre est donc parfaitement jouable par un orchestre traditionnel. Des bois et des vents, mais pas de trompettes, juste les ronflements de tuba et un cor, pour ne pas esthétiser la guerre avec trop de lumière.
Dans cet esprit d’émergence, la composition se fonde sur des nuages d’instruments : les bois, les vents, les cordes, émergent, gonflent et éclosent à peine, afin de générer une sensation de permanence, d’inexorabilité, d’insaisissable. Dès l’origine du projet, il s’est agi de faire cohabiter l’air et la terre, en surmixant le souffle des instruments à vent et les effets d’embouchure, en faisant rebondir et crisser les archets, et en recourant concomitament à des sons profonds de basse, même dans le souffle. Partant de là et de façon très classique, les propositions mélodiques, maintes fois déclinées en harmonies et transpositions diverses, altérées les unes par les autres, et les timbres concrètement ou symboliquement évocateurs, construisent progressivement un tableau où se relient les événements et les émotions comme pour en approcher la secrète logique.
La sémiologie du texte a pris une grande place dans le travail de composition. Il fallait superposer divers niveaux de lecture, identifier les tournures à des sensorialités, des matérialités et des concepts particuliers, saisir les interconnections parfois lointaines dans le texte, anticiper et réactiver. Jean Giono a notamment l’art d’associer les contradictions en très peu de mots, et l’antinomie est au coeur du texte. En outre, les morceaux choisis par Christine Bretonnier-Andreani mettent en évidence une certaine architecture en miroir, comme de l’ânon à la naissance du bébé par exemple, convoquant les figures du berger et du bélier, et questionnant, entre autres, paternalisme et figure masculine avec une étonnante acuité.
À chaque instant se font sentir la lumière, l’air, la terre, mais aussi la chair comme un élément fondamental de plus. L’eau elle, est le plus souvent une rivière humaine ou animale. La composition s’est donc, d’autre part, fondée sur l’évocation permanente de ces éléments. Et dans le texte, il a fallu pour cela nommer ce travail de la matière et du souffle pour déterminer le jeu des instruments : glisser, érailler, frotter, couper, broyer, densifier, épaissir, alourdir, emplir, contenir, couler, grouiller, crépiter, ronger, dégouliner, arracher, gonfler, crever, déborder … la dimension kinesthésique est au coeur de la composition, avec notamment un travail sur la densité, pour faire passer ou non la lumière, comme à malaxer ou fissurer le son.
Ensuite, ce qui diffère d’un travail classique de musique à l’image en l’occurence, c’est bien de servir en même temps un texte et une voix. Outre les intonations, les inflexions, le timbre, le grain, les hauteurs, il a été particulièrement délicat de coller à la rythmique de la lecture sans renoncer à un flux cohérent dans la musique seule. Ce travail de négociation rythmique aura été l’un des défis majeurs de cette réalisation, mais lui donne sans doute une dimension organique supplémentaire car le seul métronome est la voix de la lectrice.
De façon assez traditionnelle pour l’exercice, le rôle les instruments est d’ordre symbolique. La harpe, par exemple, est tôt liée à une douceur nocturne (Le départ) autant qu’à la présence de femmes et d’enfants, mais aussi au blé et à l’été. Il y a une association entre la harpe et le soleil, le doré, la douceur de vivre. Dans le développement de l’oeuvre, la harpe se charge de sensations d’intimité, de sensualité, elle peut évoquer les souvenirs tendres autant que l’attention à l’instant présent. Mais le blé peut être anémique et le désir pénétré de culpabilité, ce qui bien sûr influence son écriture et ses dialogues avec les autres instruments.
La clarinette est pensée à l’origine comme relevant de la lucidité, de la neutralité, de la description objective, d’une capacité à voir les choses sans être le jouet de ses affects, de ses croyances, de ses illusions. Elle est l’instrument narratif dépassionné. Pourtant, au gré des morceaux, elle peut être dévoyée : devenir l’illusion de la lucidité, l’expression de l’échec à décrire ou à avoir prise sur le réel. S’associant aux autres instruments aux rôles déterminés, elle peut jouer d’inversions et d’instabilités en matière de représentation et de narration.
Le basson est pensé à l’origine comme l’instrument du trivial dans les deux sens : le banal et le sordide. C’est aussi la trivialité animale, en ce qu’elle échappe à l’esthétique. C’est le travail, le labeur. C’est aussi l’inquiétante anormalité, l’attente intranquille. C’est donc un instrument central qui va relier le pathétique et la réalité brute, l’animalité et le naturel, c’est un réalisme, matérialiste autant que la flûte est dans l’air, le songe et l’esprit.
Le dulcitone, instrument par ailleurs prisé du compositeur, est surtout utilisé avec un effet reverse : C’est lors l’instrument du souvenir, du passé révolu, mais c’est aussi celui du déséquilibre, du malaise et de l’incongruité. Dans sa forme non inversée, le dulcitone, remplaçant ou appuyant le glockenspiel, évoque une douceur molle, une lumière ténue, et joue souvent dans la dissonance pour évoquer l’engourdissement d’une conscience aveugle à l’insupportable ou au danger évident.
Ou très classiquement encore, les carillons peuvent être les cloches de la vie au village, de l’heure qui se rappelle, mais aussi de la sentence, du lugubre ou du mortuaire, de la prise de conscience qui sonne l’esprit et le coeur, mais aussi le fracas du métal, etc.
Bien qu’attiré par le cinéma Jean Giono se méfiait de l’image et des artifices d’une réalisation audiovisuelle, potentiellement si facilement traître à son projet. La narration du cinéma n’est pas celle du livre. Mais la narration orale a aussi ses houles trahissant le cap. « Mettre en musique » est forcément un pas de côté quant à l’oeuvre originale. Toutefois, la présence récurrente des instruments et de la musique dans le roman de Jean Giono, la musicalité particulière de son écriture et surtout, sa grande affection pour la musique en général exprimée sur le tard, donne peut-être à cette entreprise quelque modeste crédit.